Terre gravée, grés porcelainique, céladon bleu glace, cuisson au gaz, 28cm.
Pièce vendue
L’émail céladon
Le céladon - dont la gamme de couleur s’étend du gris au rose pâle, en passant par une infinité de beiges et surtout de bleus et de verts incertains, d’un ton pâli et comme poudré - est une couleur imaginaire. « Vert tendre à vert gris rabattu » renseignent les ouvrages savants et on sourit doucement devant cette définition tant sont infinies ses nuances. Le céladon n’aime pas être classé, étiqueté, fixé, bien au contraire, il se dérobe, se joue des catégories et se métamorphose sans cesse. Vert brillant à reflets jaunâtre, il devient, comme par enchantement, bleu glace, olivâtre ou gris bleuté.
L’incertitude qu’il porte est l’essence même de cet art de la terre et du feu qu’est la céramique. Nulle autre science que celle-là, n’a jamais pu en trouver ni le lieu ni la formule. Le céladon symbolise à lui seul cet art ancestral, traversé autant par le geste, le savoir, la formule chimique que l’imprévu, l’accident ; l’événement donc.
Cette couleur fragile, à la fois douce et intense, pure et nuancée est une manière d’habiter le temps qui suppose une maîtrise d’une infinie délicatesse ; une expérience en soi ; une pure idée aussi peut-être, une quête de la beauté, de la manière dont elle envahit l’espace : évidemment ; ainsi le peintre et son rapport à la couleur ; ainsi la note bleue des musiciens, savant mélange de savoir, d’improvisation et de hasard ; une alchimie.
Faisons un peu d’histoire. Les Chinois de la province du Zhejiang découvrent l’art du céladon au IIIème siècle avant la naissance de Jésus-Christ. Ils adoptent très vite cette couleur, voisine de celle du Jade, cette pierre précieuse qu’ils apprécient entre toutes. Sous les Yuan, ce genre de création est très recherché, notamment au moyen-orient. En Europe, le mot Céladon, qui donnera, plus tard, son nom à la couleur, apparaît pour la première fois sous la plume de l’auteur latin Ovide, dans - il n’y a pas de hasard - les Métamorphoses : le mythique Céladon est un guerrier dont le nom est calqué sur le grec « keladon » : « le retentissant », « le fleuve tumultueux » et par extension, « bruits de bagarres », « clameur ». Plus tard, au XVIIème siècle, on retrouve Céladon dans le roman champêtre, si français et pourtant injustement ignoré, d’Honoré d’Urfé : l’Astrée. Céladon : amant délicat et passionné qui dérobe à la robe d’Astrée, sa bien-aimée, des rubans verts pour les arborer sur son propre costume, en bannière de sa dévotion amoureuse. La couleur Céladon née ainsi en France sous les traits de l’amour courtois, dans ce fragment d’Eden, îlot de paix au milieu d’un océan de violence, crée par Honoré d’Urfé. Dans un Larousse de 1977, on peut lire : « La couleur céladon a été très à la mode sous Louis XVI », de là à y voir un quelconque signe des clameurs qui s’annoncèrent alors…
Le Céladon : une couleur tendre et violente qui évoque la guerre et l’amour, l’orient et l’occident, la délicatesse et le tumulte : la délicatesse du potier qui tourne et forme la matière à partir du vide, puis trouve les formules chimiques de ses émaux ; le tumulte du feu qui dévoile et saisit la couleur.
Ferdinand Gouzon.